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Chateaubriand l’exotique

mardi 19 Juin 2018, par Anne Savelli

Les Mémoires d’outre-tombe, Atala... Relire Chateaubriand étudié en Lettres modernes il y a des années, mais quelle idée, pour quelle raison ? La question ne s’est pas posée de cette façon. Invitée à animer des ateliers d’écriture par la Maison de Chateaubriand, domaine de la Vallée-aux-Loups (prendre le RER B jusqu’à Robinson, poursuivre la route à pied ou en bus, grimper à travers le parc – magnifique – et enfin, inviter qui le souhaite à écrire dans la belle bibliothèque du rez-de-chaussée sur le thème du voyage), j’ai découvert les lieux d’une façon privilégiée, ce qui valait bien quelques relectures. Et donc, Chateaubriand, cette Vallée-aux-Loups, qu’en dire ?

Une maison, plusieurs destinées

Le lieu, d’abord, où il vécut de 1807 à 1817 : c’était jusqu’ici, dans mes souvenirs de lectrice, aussi bien la demeure qu’il décrit dans Les Mémoires d’outre-tombe que la maison de santé ouverte en 1914 par Henry Le Savoureux, psychiatre et fondateur, justement, de la Société des Amis de Chateaubriand.

Le Savoureux et sa femme y recevaient des écrivains, que ce soit à déjeuner (Jean Paulhan, Paul Valéry)... ou comme patients. Les amateurs de Paul Léautaud le savent : c’est à la Vallée-aux-Loups qu’il est mort, tout comme le dadaïste Jacques Rigaud.

Épisode moins connu, mais qui m’est resté en tête : dans le troisième volume de son autobiographie, La Chasse à l’amour, Violette Leduc parle du séjour qu’elle y fit dans les années 50 sur le conseil de Simone de Beauvoir :

«  Je trottinai jusqu’à une des grandes fenêtres. L’arbre à droite était-il déjà une splendeur du vivant de Chateaubriand ? [...] Ce souvenir a une place de choix dans ma mémoire, dans mon cœur. J’ai eu deux bienfaiteurs à la Vallée-aux-Loups : le calme des pelouses, le silence des murs. Le dehors valait le dedans. »

Maison voyageuse

Que dit Chateaubriand lui-même de l’endroit (répondant, par là-même, à la question de Violette Leduc), au début des Mémoires d’outre-tombe ?

« Il y a quatre ans qu’à mon retour de la Terre Sainte, j’achetai près du hameau d’Aulnay, dans le voisinage de Sceaux et de Châtenay, une maison de jardinier, cachée parmi les collines couvertes de bois. Le terrain inégal et sablonneux dépendant de cette maison n’était qu’un verger sauvage au bout duquel se trouvait une ravine et un taillis de châtaigniers. […] Les arbres que j’y ai plantés prospèrent, ils sont encore si petits que je leur donne de l’ombre quand je me place entre eux et le soleil. Un jour, en me rendant cette ombre, ils protégeront mes vieux ans comme j’ai protégé leur jeunesse. Je les ai choisis autant que je l’ai pu des divers climats où j’ai erré, ils rappellent mes voyages et nourrissent au fond de mon cœur d’autres illusions.  »

Cèdre bleu pleureur

Cette volonté de « rappeler ses voyages » (il a séjourné en Amérique et en Italie, a visité la Turquie, Le Caire, Jérusalem, Alexandrie...) est nette, m’a-t-on dit dès ma première visite. Si le mobilier n’est pas le sien, on trouve en effet plusieurs éléments choisis par lui, évocateurs des pays qu’il a arpentés et de son amour pour la mer. Ainsi, le porche de la maison est orné de caryatides d’inspiration grecque et l’escalier à double branche de la maison provient d’un bateau de Saint-Malo, sa ville de naissance. La Vallée-aux-Loups, ou l’art de s’installer tout en continuant de parcourir le monde...

Quant au parc, dont les arbres évoquent eux aussi des contrées lointaines, il émerveille. Pour ne parler que de lui, le cèdre bleu pleureur de l’Atlas aux branches entrelacées, ondulantes, planté il y a 150 ans, a été consacré plus bel arbre de l’année en 2015 (et il y a de quoi !).

Voilà qui m’a donné envie de relire les Mémoires, mais aussi Atala, court roman paru en 1801 qui se déroule sur les bords du Mississipi. On y croise plusieurs tribus indiennes, en guerre les unes contre les autres mais surtout en voie d’extermination à cause des colons blancs. Le héros, Chactas, un Natchez, vit une histoire d’amour passionnée et contrariée avec la belle Atala, fille adoptive du chef indien muscogulge qui l’a fait prisonnier. Le couple doit s’enfuir.

Torrents de larmes

Nous nous retrouvons tour à tour le long du fleuve où des crocodiles « rugissent », perdus dans la forêt, près des chutes du Niagara... Noms de lieux, flore, faune : Chateaubriand truffe son texte de termes exotiques, de notations concrètes et sensuelles. Quand on ne pleure pas des torrents de larmes (ce qui arrive souvent), on cuisine un pain de maïs, dort dans une grotte, éveillé « au chant des cardinaux et des oiseaux-moqueurs, nichés dans les acacias et les lauriers ».

Ce fantasme d’un paradis perdu, d’une vie frugale et simple au milieu d’une nature sauvage a fait rêver les contemporains de Chateaubriand comme on ne l’imagine pas. À sa parution, une mode est apparue, s’est répandue, suscitant un marchandising sans fin : assiettes, tabatières, coffrets, tout est devenu « indien ». De petites Atala sont nées, le roman a été parodié jusqu’à plus soif...

« Festival de galéjades »

Si le propos chrétien et les sentiments des personnages ne me fascinent pas plus, il faut être honnête, cette relecture et la perspective de mieux connaître la Vallée-aux-Loups m’ont incitée à établir des ponts d’un livre à l’autre, de retrouver le grand voyageur que fut Chateaubriand et ce, au moment même où le critique littéraire et historien Henri Guillemin, dont j’ai découvert les conférences filmées sur Youtube pour l’occasion, m’apprenait qu’il fallait me méfier de ce que j’allais lire.

Guillemin, dont on a également dit de lui qu’il brodait, extrapolait, déclarait en effet en 1972, (à la troisième minute de cette vidéo qui fait ma joie) que notre grand auteur « n’était pas un gars sérieux ». Les Mémoires  ? Un « festival de galéjades ». Chateaubriand ? « Un spécialiste des farces et attrapes. Il nous a raconté des tas de blagues, des tas de contes et des tas de fables. » Et d’ajouter que le Mississipi décrit est une pure fantaisie, qui a bien fait rire les connaisseurs des lieux à l’époque.

Fantasmes

Pour ma part, je trouve qu’un peu de suspicion ajoute au plaisir : Chateaubriand peut faire peur ou fuir. Ses ambitions, ses engagements changeants, ses trente à quarante ans passées sur les Mémoires, ses fantasmes sur la femme idéale, la sylphide... A-t-on envie d’y revenir, spontanément ? Pourtant, pour l’apprivoiser, et se donner des envies de voyages, il suffit parfois de s’imaginer dans la « savane » telle qu’il l’invente, oui ou non, dans Atala  :

Atala, lu par Anne Savelli
François-René de Chateaubriand/36 secondes (2017)

« Tout était calme et superbe au désert. La cigogne criait sur son nid, les bois retentissaient du chant monotone des cailles, du sifflement des perruches, du mugissement des bisons et du hennissement des cavales siminoles [tribu indienne]. »

L’écouter, se laisser porter... Nous y sommes, vous ne trouvez pas ?

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