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Hors de soi

dimanche 7 Mars 2021, par Anne Savelli

(Des oloés à la plage, photo de Virginie Gautier)

Encore une fois, peut-être, faire court pour que le semainier puisse exister, expurgé de ce que j’écris par ailleurs dans mon journal intime — et qui le reste, intime. Même si j’ai beaucoup d’admiration pour Violette Leduc dont la sincérité demeurait "intrépide" selon le mot de Beauvoir dans la préface de La Bâtarde, même si je trouve Annie Ernaux également courageuse dans ce désir de "tout dire" d’une expérience vécue, cette question du secret reste centrale dans mes livres, même les plus autobiographiques.

J’écris cette dernière phrase, qui relève de la pure affirmation (mais après tout, je suis ici chez moi, je dis ce je veux, n’est-ce pas ?), parce que j’ai eu la sensation, à un moment de la semaine, d’être sortie du cadre qui m’était (instinctivement ? indirectement ?) assigné et d’avoir débordé, d’en avoir trop dit, justement, tandis que j’étais interrogée. Dans un autre contexte, ce que j’aurais expliqué de l’écriture du livre dont il était question aurait été, précisément, ce qu’on aurait attendu et que j’aurais pu dire — que j’aurais eu à dire, même. Du reste, je n’ai rien dit qui ne puisse être dit, rien qui ne sorte du cadre de l’écriture du livre dont je venais parler. Mais justement : au fond, à quoi correspondait ce second cadre, celui de la parole ? Pour moi, à un impensé, à un exercice dont je ne possédais pas les codes. En fait, il aurait mieux valu ne pas parler du texte ni de sa construction dont la forme relève, quasi directement, comme c’est le cas pour d’autres de mes livres, des conditions matérielles, physiques, psychiques dans lesquelles je l’ai écrit, et dont je ne peux faire abstraction (pour être plus claire : il est impossible pour moi de parler de Fenêtres sans parler du trajet qui me conduisait au travail, impossible de citer Franck sans dire la rue ou la prison tandis que de savoir, ou non, si je me suis rendue aux grands magasins pour écrire Décor Lafayette ou dans la rue Daguerre pour Décor Daguerre est anecdotique, quand bien même l’expérience elle-même se trouve dans le livre) (pour être encore plus claire, certains de mes livres me sauvent la vie, m’empêchent de ne pas la détruire, du moins. Dès lors, il me semble aussi impudique qu’impossible de ne pas finir par le dire quand on me pose la question de leurs conditions d’écriture).

(relisant tout cela, je vois bien que lorsque je cite Leduc ou Ernaux, je ne parle pas de la même chose : je parle de ce qu’elles ont écrit, mûrement pesé, avant d’accepter de le voir publié, et non de discours qu’elles auraient pu tenir)

(par ailleurs je pense, et j’arrêterai là avec les parenthèses, que ce que j’ai ressenti est disproportionné, ne correspond pas à une véritable réalité. C’est un pur support d’anxiété, support d’autant plus efficace que, réussissant à le penser, je ne m’en débarrasse pas pour autant. Ce semainier peut-il m’aider et si oui, pourquoi ? Parce que je l’écris ? Parce que je le publie ? Les deux ?)

À propos de cadre assigné, la photo prise par Virginie Gautier, placée en tête de cet article, fait office d’oxygène et de contre-poison, en tout cas. En ces temps où il reste impossible, du moins en ville, de lire et d’écrire où on veut, où il nous faut, encore, toujours, inventer des îles numériques au lieu de subir le tout virtuel, où l’intérieur comme l’extérieur restent anxiogènes, nous avons plus que jamais besoin d’air et de temps.
L’air et le temps : le lieu même. Au jour le jour, celui de Virginie, par exemple, peut être suivi ici.

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