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L’enfant en soi

dimanche 9 Mars 2025, par Anne Savelli

Jeudi J’ai beaucoup de choses à dire, cette semaine, à commencer bien sûr par la fin du retravail, tant attendue, de Bruits. Il y a encore des passages dont je veux vérifier la pertinence avant d’envoyer mon texte en lecture, mais enfin, je suis allée le faire imprimer aujourd’hui, ce qui est une étape importante.

(Ma précédente version papier vaut le détour, toute de paragraphes découpés et de post-it.)

Sur la photo, vous reconnaîtrez peut-être le Batman au pied manquant que je place de temps à autres à côté d’un livre, ou le surplombant (ça ne m’est pas arrivé depuis longtemps, remarquez). Y a-t-il une figurine de superhéros dans Bruits ? Oui. Est-ce la seule raison de sa présence ici ? Non. J’aime désacraliser l’écriture, que je prends par ailleurs tellement au sérieux, tellement à coeur, en l’associant avec des jouets un peu ridicules, trimballés depuis des années, vieux robots trouvés au McDo et autres.

Je ne sais plus du tout d’où vient ce Batman, mais, j’avoue, j’aimerais bien, désormais, dénicher une superhéroïne, une Wonder woman ou une Elektra (pourquoi choisir ? les deux, en réalité), qui s’assiérait sur mes manuscrits.

Enfantillages ? Absolument, mais dans le bon sens du terme. Je viens de passer sept mois non stop à retravailler, malaxer, étirer, découper ce livre en lamelles (sans compter, entre temps, un mois de grippe), à m’acharner du matin au soir sans aucune certitude, projet auquel j’ai commencé à penser en 2001 (il y a 24 ans !), que j’ai écrit, repris, recommencé, des années durant et qui m’a valu, par moments, des phases anxieuses assez intenses (sans compter la disparition du texte dans un crash d’ordinateur). Bref, une Elektra et une Wonder woman ne seront pas de trop pour attendre avec moi le verdict et voir comment, quoi qu’il arrive, je vais rebondir (car je dois retrouver du travail, maintenant, bien sûr).
(Bientôt, également, je dessinerai le second oeil du daruma.)

Pourquoi intituler cet article L’enfant en soi ? Pour ce que je viens de dire, bien sûr, et parce que l’héroïne de Bruits, quand l’histoire commence, a quatre ans. Mais ce n’est pas la cette seule raison. Il se trouve que samedi dernier, j’ai appris la mort d’Alain Grée, l’auteur et dessinateur du livre premier livre qui a compté, pour moi, Je sais tout. J’avais consacré un épisode de Faites entrer l’écriture le 25 décembre dernier à cet album jeunesse. J’espérais, alors, une fois ce podcast "passé en public" (pour l’instant, seuls mes abonnés peuvent l’entendre) le rencontrer et même, pourquoi pas, l’interroger un jour. L’épisode paraîtra pour tout le monde le 25 de ce mois...

Cette nouvelle m’a mise dans un état de tristesse infinie, le week-end dernier. Samedi, je n’arrêtais pas de pleurer, comme si Alain Grée avait fait partie de ma famille. J’ai posté la photo de la couverture du livre, Je sais tout, avec quelques lignes, sur Instagram et sur Facebook. Cela a suffi à son petit-fils, qui l’a vu, pour m’écrire. Comme il a bien fait. Nous avons un peu échangé, par messagerie, et ce fut chaleureux. Je lui ai envoyé le fichier de l’épisode, qu’il a écouté et fait entendre à sa famille. Cela m’a beaucoup touchée. Savoir que ce que je disais de ce livre, de son importance dans ma petite enfance, était parvenu jusqu’aux très proches d’Alain Grée, presque jusqu’à lui, ce n’est pas rien.

Bien sûr, j’aurais pu insister, en décembre, quand je l’ai demandé en "ami" sur Facebook. J’aurais dû lui écrire un mot et lui parler de mon podcast. Mais, d’une part, je ne pensais pas qu’il s’occupait de sa page (ses réseaux sociaux, en anglais et en japonais, me semblent, logiquement, tournés vers le Japon, pays qui lui voue, j’ai l’impression, une grande reconnaissance). D’autre part, j’avais la grippe... Je sais, ce sont un peu des prétextes, et ce n’est pas la première fois que je ne rencontre pas quelqu’un qui a compté (j’ai présenté Décor Daguerre dans une librairie située à quelques mètres de chez elle au moment où est morte Agnès Varda. J’étais en train de lui envoyer une invitation quand j’ai appris la nouvelle. Elle m’avait dit au téléphone, des mois plus tôt, que ce serait bien qu’on se rencontre, et je n’avais, alors, tenté qu’un mail, ce qui n’était pas assez.). Il faudrait vraiment vaincre cette forme de timidité paralysante, me dis-je. Le petit-fils d’Alain Grée, lui, n’a pas hésité à m’envoyer un mot, et m’a fait comprendre que son grand-père m’aurait certainement répondu.

Vendredi Le manuscrit est donc posé devant moi, dans sa chemise rouge. J’ai prévenu qui de droit de ce que j’allais faire, quand j’allais l’envoyer, et me voilà libre ! Impossible de relire encore quoi que ce soit durant trois jours, le cerveau ne veut plus rien savoir. Ce vendredi est donc, pour moi, un jour de vacances, et j’en profite pour aller visiter, une fois de plus, le musée d’Art moderne de Beaubourg qui fermera dans trois jours et ne rouvrira, minimum, que dans cinq ans.

J’adore ce musée, que j’ai commencé à fréquenter quand j’avais seize ans, y entrant, alors, comme dans un moulin, ne me sentant jamais tributaire de rien. Le centre Georges Pompidou a été conçu au départ pour pouvoir, justement, traverser les lieux comme bon nous semble (ce qui a bien changé), et l’entrée était gratuite pour les moins de 18 ans. J’y suis donc allée, à l’adolescence, entièrement seule, sans obligation, sans nécessité, et me suis liée à des oeuvres de la collection sans du tout savoir si elles étaient connues.

Ce vendredi après-midi, je décide donc d’y retourner et de prendre en photo tout ce qui forme, d’une certaine façon, "ma" collection, tableaux, sculptures, installations, objets de design... Je me sens, par exemple, parfaitement chez moi dans le Jardin d’hiver de Dubuffet.

(Je ne sais pas pourquoi il n’est plus éclairé comme il l’était avant, dans mon souvenir, par contre.)

Aujourd’hui, une fois de plus, je viens le visiter. Un père et son fils (10 ans ?) entrent avec moi. Ils sont enthousiasmés et le disent, ce qui fait ma joie. J’arrive ensuite à y rester quelques secondes toute seule, le temps de prendre des photos. Je mesure mon privilège et en ressors, comme toujours, dans une sorte d’allégresse secrète. L’art, dans ce qu’il a de bizarre, d’aventureux, d’accueillant, de féroce, de sombre, d’explosif, de moqueur, d’apparemment bête, d’exaltant, tout cet art qui nous est offert, est absolument essentiel. Il suffit d’entrer dans le musée pour le comprendre.

(Mais encore faut-il le pouvoir, bien sûr.)

Voilà donc ce qui m’a constitué, à partir de l’âge de seize ans :

etc.

Galerie

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