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La fiction

dimanche 7 Novembre 2021, par Anne Savelli

La fiction, est-ce que ce serait monter dans cette voiture-là plutôt que de la voir de biais, de la photographier en douce, de ne pas oser s’approcher car le conducteur est dedans, qui scrolle sur son téléphone ? L’écriture, est-ce que ce serait se maudire de ne connaître ni le nom ni la marque de la voiture ? Se maudire à l’instant sur le trottoir : oui.

La fiction, est-ce que ce serait le désir, fugace mais réel, de supprimer le chauffeur vêtu de façon excentrique, sixties anglaises rêve-t-on, à cause de ce geste du scroll ? La fiction, est-ce la réalité qui déçoit, ou qui offre ?

(le chauffeur trop vite aperçu, réécrit en dandy en changeant de trottoir)

Je n’ai, revenant de la gare du Nord à pied, rien de particulier en tête, si ce n’est lutter contre cette anxiété sournoise dont j’ai déjà parlé et contre laquelle, à en croire les préceptes de la méditation, il ne faut surtout pas lutter, sinon elle prend de l’ampleur — comme c’est simple. Elle glisse sur les flancs de la voiture tandis que je regrette mon absence de vocabulaire mécanique (s’allume dans mon esprit la relecture d’Autobiographie des objets de François Bon, en cours) et que je pense Rolls quand Traction avant s’imposerait.

(Perec, viens à mon secours : je me souviens avoir roulé plusieurs fois dans une Traction avant, à la place arrière, à l’adolescence)

N’avoir aucun vocabulaire mécanique mais ressentir le manque. Ne penser qu’à la Rolls parce qu’une Rolls dans Bruits ne cesse de brûler tandis que le texte n’avance pas.

(ce matin, après le semainier, je m’y remets. Je m’occupe de la Rolls et de ce qui crame autour. Juré)
(allez, si)

La fiction, c’est ne pas savoir à quoi ressemble une Rolls moderne, même à vivre en face d’un concessionnaire. Avoir flou, dans l’œil, la Vénus d’argent de Melody Nelson

et remplacer le chauffeur par Steed, penser à Emma Peal, que ferait Emma Peal dans cette Rolls à l’arrêt (ce serait alors une Bentley) près d’un petit libraire à côté du pont Lafayette, à Paris ? Que scrollerait-elle sur son téléphone ?

La fiction, ce serait se demander ce qu’il faut d’aventure dans une vie d’écrivaine. Si l’aventure existe en dehors de la violence. Si elle a un rapport avec la distraction, la surprise, le hors sujet, le hors série ? Je pense au hors sujet, je me dis que oui. Le hors sujet : voilà mon aventure et celle de mes livres.

L’aventure c’est, durant quelques secondes, nos flyers en fraude à la BNF, Lisières limites casées parmi les partenaires de l’institution. Mince comme le papier, la fiction.

L’aventure c’est ce qu’on sème. Et ne pas oublier que la récolte est contenue.

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