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La méthode

dimanche 21 Mai 2023, par Anne Savelli

Tout est parti de cette photo de Roy Schatt prise à l’Actors studio. Quand j’ai commencé à penser ce que pourrait devenir "le livre sur Marilyn", au début, il y a eu cette image, dont j’ai piqué une carte postale dans une galerie, lors d’un vernissage (eh oui). Je ne vole jamais rien, sciemment du moins, c’était donc un événement. Je n’ai jamais su pourquoi j’ai eu besoin de voler cette carte, et non de l’acheter. Ce dont je suis sûre, c’est que j’ai choisi comme point de départ une photo de Marilyn Monroe prise dans un groupe, écoutant un cours : une photo d’elle en train de penser. On ne voit qu’elle, mais pour une fois, elle regarde quelque chose hors champ.

Pourquoi en parler aujourd’hui ? Sans doute à cause de ce terme, méthode. Je voulais dire quelque chose de la rigueur qu’exige l’écriture, le mot méthode est venu et l’image à sa suite.

Toutefois, je n’ai pas encore raconté la lecture des élèves lors de la Nuit des musées au Louvre samedi dernier (ci-dessus, prise en attendant de pouvoir entrer, cette photo de trois personnes formidables : Marie-Agnès Gatouillat, l’enseignante du lycée d’Alembert avec laquelle j’ai travaillé toute l’année, Jade et Hassan, deux élèves de CAP podo-orthésiste que je n’oublierai pas de sitôt).

Comme on pouvait s’en douter — il suffit d’avoir un peu d’expérience —, le jour J, une fois sur place, les élèves qui ne s’étaient pas montrés très motivés quelques jours plus tôt se sont parfaitement tirés de la situation. C’est avec joie et fierté que je les ai écoutés lire leur "galerie imaginaire des objets" dans le département des Arts de l’Islam, entourés d’un petit cercle d’auditeurs. À partir de l’exposition Les Choses, ils ont en effet construit, par l’écriture, une galerie dans laquelle on trouve les objets qu’ils aiment, choses parfois nommées dans l’une des dix-sept langues qu’ils parlent, à eux tous, ainsi que l’objet suprême, celui qui rend libre : la paire de chaussures. L’enregistrement des machines, pris dans les ateliers de cordonnerie et de podo-orthésie, a pu être entendu, lui aussi. Je crois que nous avons tous été très heureux de ce moment, et j’inclus dans ce "nous" les gens du Louvre venus suivre la lecture, dont j’ai vu le visage s’éclairer. Ce qui semblait quelques jours plus tôt disséminé et mal construit, s’est soudain unifié, ordonné (Jade n’y est pas pour rien, et Hassan non plus).

(les hispanophones de la bande)

(quelques uns des anglophones et francophones)

Quand on écrit, il n’est pas fréquent d’éprouver ce sentiment de plénitude, c’est le moins qu’on puisse dire. Les trois quarts du temps, on ne fait que tâtonner et ajouter de la matière. Quand on en a enfin fini, une fois par an, disons, on est contents durant, quoi... 24 heures ? Oui, 24 heures, et ensuite c’est reparti (les doutes, les recherches, l’inconnu). C’est pourquoi je n’ai pas boudé mon plaisir. Du reste, ô reconnaissance, une ancienne enseignante m’a dit qu’à l’écoute, elle mesurait le travail que ce quart d’heure de lecture avait demandé. Qu’elle en soit remerciée. De la méthode, il en a fallu, c’est sûr — et là, je retombe sur mes pieds.

D’habitude, on ne voit jamais ce qui se produit avant le grand jour. On ne voit ni les élèves dormant sur les tables, ni l’autrice jouant frénétiquement au solitaire pour évacuer son anxiété. Ce qui est placé devant nos yeux, c’est le groupe uni, le livre paru. Pour qu’ils existent, ne s’éparpillent pas avant l’heure, il faut pourtant qu’il y ait eu, de façon souterraine, une certaine rigueur. La méthode, la rigueur, ce ne sont ni l’austérité, ni l’effort. C’est un sillon creusé avec constance, même quand on croit foutre des coups de pied dans des mottes de terre.

(Sillon qui n’apparaîtrait que 24 heures, disparaîtrait ensuite.) (Alors, sommes-nous masos, à continuer ? Pourtant, non.)

Depuis la fin des ateliers, j’ai décidé de me rendre une fois par semaine à la Maison de la poésie, à Paris, quelle que soit la programmation, autant pour soutenir des amis que découvrir des inconnus. Pour me décentrer, m’arrimer : les deux. À poster ces photos de Marilyn prises à l’Actors studio que le mot méthode a fait surgir, je comprends qu’il s’agit aussi de me sentir, comme elle, prise dans un groupe quand j’ai l’impression de piétiner.

Foutre des coups de pied dans les mottes de terre, ce n’est pas tout à fait piétiner.

(Du reste, la paire de chaussures, c’est l’objet qui rend libre, n’est-ce pas ?)

Galerie

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Messages

  • J’ai eu plaisir à lire cet article qui montre la part d’incertitude, de complétude et de gratitude.

    J’ai aussi pris la résolution de fréquenter la maison de la poésie dont une amie me dit grand bien et pourquoi pas une fois par semaine, question de méthode.

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