parution le 03/10/2024
ISBN 978-2-490364-42-8
53 pages
12 euros

Lieu ouvert, lieu à soi
dimanche 5 Juillet 2020, par
Mettre en pratique la décision de marcher au lieu de prendre les transports en commun c’est arpenter, en deux jours, dix-huit kilomètres dans Paris pour rejoindre le bureau de L’aiR Nu, y dormir, revenir le lendemain. C’est tomber au hasard sur des photos qu’on n’aurait jamais vues, exposées sur les murs de Barbès ou vers la tour Eiffel (voir ici). Se dire qu’on engrange pour Bruits quand bien même, revenue, on ne se souvient de rien. Ne pas prendre de photos. Un autre jour, en prendre. Ne rien noter. Écouter de la musique.
C’est ne pas être sur les réseaux quand paraît le texte pour Pandémonium : à 16h40, une minute de Bruits. C’est ne plus répondre du tac au tac ni aux mails ni au téléphone.
C’est le bouleversement de cette photo-là, près de la tour Eiffel, parce que le confinement m’a rappelé le parloir. C’est ne pas prendre de notes mais finir par s’y remettre, à Bruits. Lentement. Si lentement que c’est presque immobile. Repartir du début, une fois de plus. Continuer à s’intéresser aux paquebots où mon héroïne passera l’après-midi mais en revenir à l’aube où commence le livre. Magie des mille vies, à nouveau.
Je repense, au moment d’écrire cet article, à un passage du récit de Simone Signoret, Le Lendemain, elle était souriante.... Elle y compare les vies d’actrice et d’écrivain. Elle met à jour ce qui, invisible, fait notre quotidien : dans cette seconde vie, qu’elle expérimente, personne n’est là pour modeler le jour. Il n’y a ni feuille de route, ni planning, ni réplique à apprendre. Il n’y a aucune structure extérieure à soi : il faut se charger de tout. Marcher au lieu de prendre les transports, c’est encore écrire, je le répète : c’est aller dans le sens de cette vie étrange, aussi bien contrainte que choisie.
Que dire d’autre ? Les notes pour cet épisode du semainier sont un peu difficiles à prendre, sur le moment, car je manque de motivation. La rubrique Culture en cours capte mon attention : je peaufine le mois de juin, entame le mois de juillet que je laisse en brouillon. C’est très stimulant, de repérer ce qui nous intéresse, de ne pas le laisser filer.
Tout de même, venue de l’extérieur, cette bonne nouvelle : j’apprends vers la fin de la semaine que Saint-Germain-en-Laye a été retenu pour le prix littéraire des lycéens d’Ile de France. Concrètement, cela signifie qu’entre 120 et 150 adolescents l’auront entre les mains à partir de septembre.
Le vendredi nous attendons des nouvelles de l’atelier B de Matrice, pour notre projet Le lieu commun (voir semainier précédent). Elles finissent par venir et c’est non. À vrai dire, c’est un peu un soulagement, parce que nous avons déjà des projets personnels sur le feu. C’est dommage pour le lieu (une villa Mallet-Stevens) et les rencontres possibles, mais tant mieux pour l’engagement que demande Bruits, pour ne parler qu’en mon nom propre. Et puis la réponse de l’équipe est ouverte : peut-être retrouvera-t-on, un jour, l’atelier Barillet dans un épisode du semainier, qui sait ?
À me lire, on pourrait penser que la vie d’auteur, c’est la douche écossaise permanente. C’est vrai, c’est tout à fait ça mais on ne tient pas sans apprendre la distance, que ce soit pour les bonnes ou les mauvaises nouvelles. Et puis l’époque est si étrange, elle aussi. Ainsi, j’ai très envie d’aller voir Les Lèvres rouges mais pas de retourner dans un cinéma. De suivre des pièces de théâtre, mais de chez moi. De remettre un pied au musée, mais pas complètement. De reprendre la piscine, mais peut-être que non. Moi qui déteste l’été, je peux bien l’écrire dans ce semainier, j’éprouve un secret contentement à voir s’effacer depuis le printemps tout ce qui marque sa progression, du salon du livre au festival de Cannes, de Roland Garros au tour de France, jusqu’au festival d’Avignon. Que ce qui faisait certitude ne le fasse plus me réjouit de loin (de loin, car de près je sais ce qu’il en coûte) (j’écris ça, et le nombre de romans de la rentrée littéraire baisse à peine...). Me plaisent les petites terrasses bordéliques des bars, les trois planches clouées sur la place de livraison, mais pas la foule qui se colle, non. Me plaît tant l’idée qu’on change tout, qu’on respire enfin, mais cet appel d’air, c’est d’une maladie qu’il vient... Bref. Cela pour dire que la marche, la lecture, l’écriture c’est une pratique du lieu ouvert, du lieu à soi, mais pas de l’entre-deux pour le moment.
(à quand le retour dans les bibliothèques ?) (peut-être devrais-je suivre mes propres exercices d’écriture inscrits dans la nouvelle version Des oloés, pour voir ?)
Samedi, un ami de longue date, dont j’ai esquissé le portrait dans un de mes livres, déclare publiquement, pudiquement aussi, qu’il vient de découvrir en le relisant que ce texte lui était un refuge. J’oublie la distance. Je suis très émue.
Émue aussi, le soir, d’apprendre la mort de Monique Maitte, une ancienne SDF devenue leur porte-parole à Strasbourg, très active sur Twitter et qui écrivait. J’avais lu un de ses textes lorsque nous avions participé, avec L’aiR Nu, au festival des Racontars numériques en 2016, en proposant une déambulation littéraire. Il pleuvait, nous étions dehors, en cercle sous des parapluies. J’ai lu vite, bafouillé un peu. Je n’ai jamais osé lui envoyer ce lien.
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photos : l’immeuble où vécurent Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud. Le parloir vu par le photographe Grégoire Korganow pour sa série Prisons
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