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Myrto en trois rencontres

dimanche 13 Juillet 2025, par Anne Savelli

(photographie de Françoise Lorente)

La semaine dernière, quand j’ai terminé ce journal d’écriture, j’ai appris la mort de la traductrice Myrto Gondicas. Je n’ai rien changé à mon article, alors, ne voulant pas le rafistoler à la dernière minute. Cette semaine, j’ai écrit un petit texte autour de trois souvenirs que j’ai d’elle, que je me propose de glisser ici. Mais avant tout, je vous conseille de lire cet hommage qui lui a été rendu par la revue des traducteurs et traductrices de la Maison Antoine Vitez, Sur le ring. On y apprend beaucoup sur ce que cette femme, qui était, de l’avis de toutes et tous, l’humilité même, a fait de grand dans sa vie. Je savais également qu’elle écrivait, chantait dans la chorale Equivox et pratiquait l’aïkido. Le groupe Whatsapp dont j’ai déjà parlé ici m’a également appris qu’elle jouait du piano.

(photographie de Françoise Lorente)

Voici donc trois souvenirs de Myrto, trois rencontres, chaque fois impromptues :

La première fois que j’ai rencontré Myrto, c’était en mars 2009, le vendredi 27, exactement, à la Lucarne des écrivains, dans le XIXe arrondissement. Selon le blog de la librairie, qui en garde la trace, la soirée s’intitulait « Jeune littérature féminine ». Marie-Céline Siffert, Magali Brénon et moi étions venues effectuer une lecture croisée de nos textes récents. Je me souviens qu’il faisait froid dans la pièce et que le public comptait une majorité de femmes. Je me rappelle également qu’après la lecture, Myrto m’avait abordée en me disant, de sa voix posée, qu’elle aimerait traduire mon premier livre.
Je ne sais pas si elle s’en est aperçue, mais j’étais stupéfaite. Non seulement la femme qui me faisait face avait lu Fenêtres, ce « journal du regard » publié deux ans plus tôt chez un petit éditeur, mais en plus, elle voulait le traduire – en grec ! Une fois dehors, dans la rue, des images de salles de cours me sont revenues, celles où j’avais appris avec peine, en « grande débutante », un peu de grec ancien au lycée. Les moqueries de mon professeur de terminale devant mon niveau, l’incapacité de ma première enseignante, en seconde, à accepter qu’une élève grecque, passant l’année en France, lise les extraits demandés en « mettant l’accent », son accent à elle, l’accent réel qu’une personne grecque prendrait pour déchiffrer un texte ancien, voilà ce qui resurgissait.
Que Myrto me fasse cette proposition a constitué, sans qu’elle le sache, une revanche sur ces heures de cours globalement pénibles, fantaisie du destin dont je ne lui ai rien dit – nous étions toutes deux, alors, peu disertes. Le projet de traduction n’a pas abouti, je n’en ai plus entendu parler. En me faisant cette proposition, Myrto m’a cependant, par magie, fait franchir une frontière.

(Myrto Gondicas et Lucie Pouille)

Je me souviens, fin janvier 2017, de Myrto au festival Incipit, monté sur deux jours, créé par le très regretté Philippe Aigrain et par la plasticienne Mathilde Roux à partir d’un personnage semi-imaginaire, à la fois poète et coupeur de têtes, Joseph-Ignace Guillotin. Myrto, accompagnée par Lucie Pouille, avait interprété une drôle de chanson, une chanson drôle, intitulée Ancien régime. La soirée était très gaie, la salle pleine de monde. On entrait, on sortait sans cesse de la petite galerie Six-Elzevir, située dans le Marais, où Mathilde exposait des collages. Il est toujours possible d’écouter la chanson de Myrto, ainsi que les lectures, sur cette page web de L’aiR Nu.

Je me souviens encore, en septembre 2024, être tombée nez à nez avec Myrto dans un stade, mais oui. Je voulais obtenir des renseignements sur un cours de ki-aïkido. Or, c’était elle qui accueillait les futurs arrivants sur le stand de la fédération ; elle que je retrouvais, le lendemain, dans le vestiaire du gymnase Jaurès, Paris XIXe encore, m’apercevant que non seulement elle traduisait, chantait, écrivait, mais également, qu’elle était ceinture noire ! Nous avons peu eu l’occasion de pratiquer ensemble sur le tatami, mais son conseil me revient. Alors que je me plaignais de ne rien retenir de ce qu’on m’apprenait, elle me disait : en rentrant, note tout.
(Elle ne le disait pas de cette façon-là, elle n’était pas directive.)

Ainsi Myrto m’a-t-elle, chaque fois, étonnée. Ainsi l’écriture et le mouvement nous ont-ils, plus d’une fois, réunies.

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