parution le 03/10/2024
ISBN 978-2-490364-42-8
53 pages
12 euros

Relire, écouter, lire
dimanche 11 Juillet 2021, par
(fragment de la Maison du projet de l’écoquartier de Châtenay-Malabry, hiver, avant le premier confinement)
Ce semainier comme un compagnon de route, comme un jalon dans mon travail, peut-il aider ceux qui écrivent ou intéresser ceux qui lisent mes livres ? Je ne sais pas. En tout cas il me permet de clarifier quelques étapes. Ainsi, ce mercredi, je tente de faire face à la décision que j’ai prise hier : simplifier ma partie de Lisières limites, le texte sur l’écoquartier de Châtenay, dont il ne restait pourtant qu’à vérifier l’absence de coquilles.
Avant d’aller plus loin, quelques mots d’explication : Lisières limites est un texte en deux parties, l’une écrite par Joachim Séné, l’autre par moi, lié à la construction de l’écoquartier de Châtenay-Malabry par le groupe Eiffage. Ce chantier est une sorte de laboratoire, un objet d’étude sur lequel se penche une équipe de chercheurs de l’Université Gustave Eiffel, à Marne-la-Vallée. Parmi eux, chose exceptionnelle, se trouvent des littéraires. Pour L’aiR Nu, nous avons été chargés d’écrire un texte inspiré par le projet. Joachim s’est occupé de l’écoquartier "réel", dont il retrace l’histoire tout en y mêlant des souvenirs d’enfance, faisant ainsi lien avec son livre Village. De mon côté, j’ai eu envie d’évoquer les peurs et les désirs des gens qui vivent en ville. Pour ce faire, j’ai ai pris appui sur le tout début des Choses de Georges Perec, chapitre écrit au conditionnel et dont le premier personnage n’est pas quelqu’un, mais un œil. J’ai conservé le mode et l’œil tout au long de mon texte, tandis que Perec les abandonne assez rapidement (surtout l’œil) (autrement dit, pour une raison obscure, je ne me suis pas vraiment facilité la tâche). Nous en sommes, a priori, à la dernière relecture à partir de l’ePub que Roxane Lecomte a créé pour nous : à la rentrée de septembre, le livre numérique devra être prêt, sans que nous sachions encore ce que nous allons en faire.
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Depuis le début, à chaque relecture je sens bien que quelque chose coince. Hier, j’ai mis le doigt dessus : il faut que je supprime un passage trop touffu, trop complexe, que je conserve depuis le début simplement parce que c’est grâce à lui que je me suis lancée, que j’ai pu entamer ces Peurs et désirs des gens des villes. Faut-il tout enlever ? Récupérer certains paragraphes, certaines phrases ? Je ne sais pas encore mais je le note ici, pour m’aider.
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Réflexions au fil de la relecture :
– Depuis le début, également, j’hésite sur les retours à la ligne, les sauts de ligne. J’ai changé d’avis combien de fois, déjà ? (une petite centaine ne m’étonnerait pas)
– Chaque fois que j’ai une décision à prendre, j’ai envie d’aller m’allonger. Ce n’est pas de la fatigue ou un manque de concentration, c’est de la peur. L’inquiétude de voir le texte, non pas s’écrouler (plus à ce stade), mais en partie m’échapper. Pour éviter de me retrouver dans cette situation, j’ai truffé le texte de cadres, de titres, de gras, d’italiques, de notes de bas de page. Je l’ai saturé. Maintenant il faut dégraisser.
– Je vais me faire un café, tiens. Et si je relisais tout à voix haute, comme avant ? (j’ai utilisé cette méthode jusqu’à Décor Daguerre, je crois)
– Bon, vu le nombre de changements, il faut que j’avertisse Roxane (c’est fait)
– 14:32 : je vais en baver, je le sens. Ce cadre à la page 3, je le laisse, je l’enlève ? Je ne garde que le texte qui se trouve dedans ? Je supprime tout ? (tentative avortée de penser à autre chose, à des cadres réels, de photographies) Bon, je jette le cadre et je colle le texte juste en dessous du précédent, réécrit, depuis tout à l’heure, une bonne dizaine de fois. Est-ce que ça fait un tout ? Si je passe l’ensemble en rouge, est-ce que je verrais mieux ?
– 16:50 J’ai passé cet après-midi à me relire, à virer les titres, à découper les blocs de texte pour qu’ils soient plus simples à comprendre, à reprendre des phrases, à travailler et m’arrêter, ne cesser de m’arrêter pour garder la concentration. Voilà qui peut paraître paradoxal, mais non, rien à voir avec les interruptions extérieures ni même la fuite devant la difficulté. S’arrêter dès qu’un problème a été résolu avant de s’attaquer au suivant c’est une façon, ce mercredi, de recentrer son énergie, de rester dans un même mouvement face au texte. J’ai bientôt fini, je crois. Il me reste un sacré morceau, celui que depuis le début je veux supprimer, passage qui ne serait rien si on le regardait du dehors en cherchant à le quantifier. Je sens qu’à nouveau il me faut une pause, mais si je pouvais avoir réglé la question avant 18h, ce serait merveilleux.
– 17:40 retrait du passage en question, ajout de quelques lignes de lien, suppression d’un autre paragraphe. Fini pour aujourd’hui. Enregistrer. poser.
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Samedi. J’ai laissé reposer cette nouvelle version du texte, en effet, après avoir effectué les coupes, être allée au bout — du moins, je l’espère. Entre temps, avec Joachim, nous avons également enregistré une petite lecture vidéo de À travers Champs, la seconde, pour notre chaîne Youtube (la première se trouve ici), mais sans trouver le bon moment pour la poster. Je me suis également mise à lire la biographie du neurologue Oliver Sacks pour Bruits et j’ai cherché des informations sur le néo-malthusianisme pour Mystag divagations, toutes choses qui me serviront certainement, malgré l’impression de se disperser. Sans parler du fameux podcast que j’avais commencé à évoquer la semaine dernière et que j’ai écouté je ne sais combien d’heures cette semaine.
Il s’agit de Cerno, une "anti-enquête" entamée en 2019, qui continue aujourd’hui et que je viens de découvrir grâce à une vidéo de Solange te parle. Un ancien journaliste de France Inter, Julien Cernobori, part sur les traces d’un fait divers des années 80 que je vous laisse découvrir. Concierge, ostéopathe, anciens fêtards, gardienne de tombes, mercière, avocate, vacanciers, comédiens... En chemin, il croise et interroge des dizaines de personnes, auxquelles il s’intéresse même quand elles n’ont aucun rapport avec l’affaire. Plutôt introverti, il ne fait pas mystère de ses difficultés, en parle avec une honnêteté et une sensibilité qui le rendent très attachant. C’est parfois drôle, souvent émouvant, fort bien réalisé et, comme il le dit dans un sourire, "captivant". Je suis fascinée, à vrai dire. Son approche est celle dont je rêve pour le prochain projet de L’aiR Nu, L’objet de ma vie, c’est pourquoi je m’accorde le droit d’écouter, l’un après l’autre, tous les épisodes. On y sillonne Paris, en particulier le 18e arrondissement. On y découvre le grand intérêt de Patreon, qui permet à Julien Cernobori non seulement de se financer et de rester indépendant mais aussi de poursuivre son anti-enquête plus longtemps qu’il ne le croyait, aidé par des auditeurs qui finissent par participer à ses recherches. Il n’y a alors rien de plus jouissif que de voir s’ouvrir les portes que, quelques mois plus tôt, on lui avait claquées au nez (il n’est pas du genre à entrer par la fenêtre et c’est précisément ce que j’aime). Ceux qui lui répondent sont comme ces portes : fermés, restant sur leurs gardes ou au contraire oiuverts, confiants, prêts à l’aventure.
Je pourrais écrire longtemps sur Cerno, sur la diversité de ses rencontres, sur sa capacité à faire s’exprimer les gens ; sur le vacillement que provoquent certains témoignages ; sur ce que le temps qui passe fait aux souvenirs (sur l’oubli, sur l’erreur, l’interprétation des mêmes faits) ; sur la banque d’expressions qu’il tire de ses enregistrements et lui servent de ponctuation ; sur son attachement aux lieux, aux inconnu.es ; sur ce qu’il ose faire et n’ose pas. Par moments, je rêve, comme lui, de constituer une équipe informelle et mouvante passionnée par le même sujet. Je me demande ce que serait pour moi ce sujet avant de me rendre à l’évidence : ma pelote est faite de tant de fils, comment pourrait-elle ne former qu’un ensemble ?
Tout de même, raconter pour finir que, terminant de relire ma partie de Lisières limites, réfléchissant à la question de l’écoquartier, ses utopies et sa réalité, j’ai découvert pour Mystag divagations l’existence d’une colonie anarchiste au début du XXe siècle (Mystag était militant). Et regardez un peu où elle se trouvait.
À suivre, comme dirait Cerno.
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