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Remèdes

dimanche 18 Avril 2021, par Anne Savelli

Lors du dernier épisode du semainier, paru un jeudi, je disais que j’avais depuis quelques temps "la flemme" de l’écrire, raison pour laquelle il n’était plus posté plus chaque dimanche. "Flemme" n’était pas le bon mot, je le savais mais ne pouvais alors dire ce qu’il en était, et pour cause.

Nulle part, en dehors des podcasts sur le burn out qui donnent la parole à des malades, je n’ai trouvé de description de la fatigue psychique qui me convienne. Ce que j’appelle fatigue psychique est le résultat d’un écrasement qui empêche de faire quoi que ce soi, à commencer par lutter contre. On est là, allongé.e sans pouvoir bouger ni se concentrer, ignorant combien d’heures, de jours, de semaines cela va durer. Parfois, pendant quelques minutes, on se sent nomal.e. Et puis ça recommence. Écrivant cela (avec quelles difficultés...) dans le but de gagner le combat, j’ai peur de ne faire qu’une chose : réveiller l’ennemi. Je suis assise. Je me demande si je ne ferais pas mieux de m’allonger. J’écris en guettant les signes (poids sur les épaules, sensation que le corps, vampirisé, se vide de toute énergie). Je finis par m’allonger, pas moyen d’y couper, mais je continue à écrire en posant mon ordinateur sur un support qui ressemble à une table de lit pour petit déjeuner. Je cherche les bons mots. Je relis, je corrige. Rien de fluide dans ce que je viens de noter. Au contraire, tout est laborieux et poussif. Je note "table de lit pour petit déjeuner" par incapacité de trouver le terme adéquat mais aussi pour faire apparaître une chambre d’hôtel, des imprimés de couleur, du soleil.

Il me parait évident, avec une année de recul, que la pandémie, les incertitudes, les angoisses, les changements qui lui sont liés m’empêchent de guérir. J’ai compris depuis longtemps, par ailleurs, qu’on ne savait pas soigner le burn out autrement qu’en l’envisageant comme une dépression, alors que les deux maladies n’ont rien de commun. Quels remèdes trouver, donc ? Lutter contre la fatigue psychique quand elle nous fond dessus se résume à ceci : faire en sorte de rester en vie. Respirer. Sortir un pied de la couette. S’étirer. Appuyer sur le bouton de la radio. S’obliger à marcher, à prendre soin de soi et de l’espace autour, même si ce n’est presque rien. Trouver ce qui peut distraire l’esprit de la bagarre (la lutte est inutile et contre-productive, et pourtant rien d’autre n’existe). Se laisser porter par ce qui nous est étranger ou, au contraire, chercher ce qui sera au plus près de nos préoccupations. Cette émission de radio, par exemple, qui envisage la fatigue sous son aspect politique.

Je ne me comprends pas moi-même : j’aurais mille choses exaltantes à raconter ici, à commencer par la parution de Volte-face l’an prochain, ce qui est un grand événement (mais je n’ai pas encore signé, c’est aussi pourquoi je n’en dis rien). Enfin... "je ne me comprends pas" mais, comme je l’ai entendu au vol à France Inter l’autre jour à propos du Covid et de ses répercutions, cela fait un an qu’on nous parle de la mort tous les jours.

On n’y pense pas en ces termes. Pourtant c’est si vrai et si pernicieux. J’écrivais "respirer" il y a quelques instants : le troisième confinement à Paris ressemble à une longue asphyxie mentale. Comment lutter contre ? Il y a quelques jours, je me suis forcée à marcher, à regarder les murs de ma ville comme si je me rendais au musée ou dans une galerie ou, plus sûrement encore, dans un atelier. Écrire, si possible. Lire, si possible. Se faire sa propre exposition. Et quand rien ne va, sortir au moins un pied de la couette.

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