Tout un monde

(écrire) Porter un monde, porter tout un monde en soi qui est, probablement, un ailleurs pour les autres, ailleurs devenant en eux une nouvelle forme de monde, sans doute, quand le travail est achevé, mais ce n’est pas le moment d’y penser. Porter en soi ses ratés, ses facilités, ses difficultés potentielles. Ne pas séparer la surface de la profondeur. Ne rien démêler pour l’instant. Démêler tuerait tout dans l’oeuf.

(anxiété) Se sentir après avoir écrit au verso de ce monde. Marcher dans la rue en éprouvant une sorte de tension hallucinatoire, se disant je ne suis pas pareille, je ne vois pas pareil, je dois être cinglée.

(lecture) Lire Laura Vasquez, se souvenir d’Hélène Bessette, de Janet Frame, de Catherine Guérard, de Violette Leduc, de Goliarda Sapienza.

(se dire) Après tout, J’ai créé en Dita Kepler en 2009, personnage dissocié s’il en est, et on m’a laissé faire. Après tout, le reste du monde est absurde, lui aussi. Si je sors et que je regarde à quoi ressemble mon quartier, disons, vers 18h, je trouverai de quoi nourrir un grand nombre de fictions. Je trouverai de la fiction dans la chaussée éventrée, dans l’homme assis par terre, la femme qui, devant lui, discute avec son téléphone. Je trouverai de la fiction dans la tête de chaque passant. Et c’est bien là le sujet de mon livre.

Il n’y a rien à faire. Il faut juste continuer. J’accompagne ces mots de photos prises à l’exposition Sculpting the Senses d’Iris Van Herpen au Musée des arts décoratifs, parce que cette exposition forme elle-même un monde. Visiter le monde de quelqu’un qui crée relève, par moments, du soulagement, c’est pourquoi j’emploie le verbe "accompagner". Il faut rester accompagné.e. Christian Boltanski m’accompagne souvent, surtout quand il parle de la mort comme d’un voyage en avion. Fellini aussi, dans son studio de Cinecitta. Globalement, les gens qui créent leur propre système, leur propre langage, leur propre logique en me permettant, d’une façon ou d’une autre, d’y accéder, me font du bien.