parution le 03/10/2024
ISBN 978-2-490364-42-8
53 pages
12 euros

Une minute pour une image
dimanche 22 Octobre 2023, par
Mercredi Comme la semaine dernière, il y a un à l’instant : ce moment où les nouvelles atroces ou douloureuses se superposent, ne laissant pas de répit. À nouveau. Quand mon article écrit le vendredi a été posté, dimanche dernier, au moment même où j’indiquais sa parution sur les réseaux sociaux, j’apprenais la mort du neveu de ma meilleure amie. Il s’appelait Yitzhak, il avait 26 ans. Je ne pouvais pas indiquer cela en commentaire, sous mon post, ça n’aurait eu aucun sens. Alors, je n’ai rien dit, j’ai simplement répondu en privé aux gens qui m’écrivaient.
Je n’en sais pas plus sur les conditions de sa disparition, après la rave party, en Israël. Le temps n’est pas venu de le demander. J’essaye de me tenir aux côtés de mon amie, discrètement (je n’ai pas connu Yitzhak. J’ai simplement connu son père, quand nous étions très jeunes, à Paris. Je n’en dirai pas plus, mais on se doute que mes pensées sont avec eux). J’essaye de m’informer de mon côté. Cependant (est-ce le mot, cependant ?), à l’instant même où je découvre quelques images de la cérémonie rendant hommage au neveu de mon amie, à cet instant, donc, comme s’il fallait surtout n’avoir le temps de rien, ne pas pouvoir penser, ne pas pouvoir se recueillir, comme si quelque chose devait se dérouler inexorablement, et tabasser, j’apprends une autre mort, celle de ma voisine, Jacqueline, que je connaissais depuis vingt-deux ans. Ces deux décès n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Ils n’ont rien de commun, non plus, avec celui de mon ancienne belle-mère, disparue le mois dernier. N’empêche. La proximité temporelle des informations qui me touchent de près, ou touchent mes proches, me garde en état constant de sidération.
(Objets appartenant à Jacqueline)
Jacqueline Hézon, parigote devant l’éternel, je l’avais enregistrée, chez elle, pour un projet de L’aiR Nu qui n’a pas vu le jour, L’objet de ma vie. Elle m’avait surtout parlé de notre quartier, quand elle était en bonne santé. Sa vie, avant qu’elle ne tombe malade, fut entièrement consacrée à aider les autres (elle était aide-soignante et a refusé jusqu’au bout de passer le concours d’infirmière parce qu’elle ne voulait pas perdre du temps à étudier quand elle pouvait aller visiter "ses petits vieux" à la place). Le son n’était pas bon, on entendait la rue (elle vivait fenêtres ouvertes), je n’avais pas osé lui demander de fermer. Je ne sais pas ce que je ferai de ces enregistrements. Le temps n’est pas venu. Ce qui m’inquiète, c’est de ne pas pouvoir aller à son enterrement — je repars pour Clermont mardi prochain.
Je cherche une photo de Jacqueline. Je sais que j’en ai au moins une, mais je cherche, je ne trouve pas, je m’énerve. Le moment n’est pas encore venu. Alors je poste d’autres images. Par exemple, cette petite cascade des Buttes-Chaumont, qui n’est plus ré-alimentée depuis le Covid - c’est du moins ce repère que je retiens. Reste la photo.
Il faudrait parler des images. Il faudrait continuer en racontant comment on peut faire écrire à partir d’images. Raconter encore la première newsletter de L’aiR Nu, petit événement de la semaine : voilà ce que j’avais noté tout à l’heure. Mais là, je n’ai plus le courage. Dernière nouvelle du jour : la cérémonie pour Jacqueline aura bien lieu quand je serai à Clermont, en plein atelier. Est-ce un bien ou un mal : qui sait ? Mais il n’y aura pas de lieu du souvenir, pour elle. Ni tombe, ni urne. Que restera-t-il ? Mes enregistrements ? Cette photo d’elle que je ne retrouve pas ?
Samedi. Deux "bulles", deux échappées dans tout ce malheur, en fin de semaine. D’abord, la conférence de Florence Tissot, commissaire de l’exposition Viva Varda, à la Cinémathèque, sur l’oeuvre filmique d’Agnès Varda. Je sais quasiment tout (et ce d’autant plus que je viens de terminer la biographie de Laure Adler), ce qui est bien confortable, ce soir-là, il faut avouer (s’installer dans le fauteuil, se laisser porter). Surtout, je découvre l’existence de l’émission Une minute pour une image dont Varda a produit 170 épisodes, dont 14 où l’on entend sa voix. Comme le titre l’indique, il s’agit de prendre une minute de son temps pour regarder une photographie, d’abord en silence (à l’effroi des diffuseurs, qui craignaient que les gens ne s’imaginent leur poste de télé déréglé !), puis en écoutant, en voix off, le commentaire d’un ou une anonyme, dont on ne saura le nom qu’au générique de fin : un ou une artiste, parfois, mais pas toujours. Toutes sortes de gens, au contraire. Cela me dit vaguement, trop vaguement, quelque chose. Il faudra que j’y revienne et que je retrouve l’épisode où la voix off est celle de Delphine Seyrig.
(Une minute pour une image, c’est penser à la photographie, et donc à mes ateliers de Clermont sur littérature et images. C’est penser à Varda, à Delphine Seyrig, à mon projet Delphines. C’est penser à Bruits, également bien sûr, à son séquençage minute par minute.)
Seconde "bulle" : ma journée de vendredi passée à suivre une formation au podcast à la SGDL (j’y passerai une semaine entière dans quinze jours). Elle correspond parfaitement à mes attentes. J’en repars avec quelques "trucs" sur la prise de son en interview — que j’aurais bien aimé connaître quand j’ai enregistré Jacqueline, me dis-je ensuite. Elle me dynamise et donne des envies.

Le samedi matin, je termine la lecture de Close up Daniel Darc, Je me souviens je me rappelle, lu livre de Marc Dufaud consacré en grande partie à la façon dont il a tourné plusieurs films sur le chanteur, des années 90 à la fin des années 2010. Marc a la grande délicatesse de me citer parmi ses amis, à la fin. J’en suis très touchée.
Je pense aussi à ce qui se produira l’après-midi loin d’ici, à Corcoué-sur-Logne : la replantation de la ligne de narcisses initiée par Delphine Brestesché fin 2012. Quoi de mieux, pour terminer ce semainier, qu’une photo de la belle Delphine en action ?
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